Diffusé sur les ondes de Radio-Canada les 21 et 24 janvier 2021, l’émission Enquête promettait un reportage-choc sur « les Métis auto-proclamés au Québec ». En lieu et place, on a eu droit à un reportage particulièrement mal ciblé dénonçant des « autochtones auto-proclamés » ayant un lointain ancêtre indien au 17ème siècle et un groupe de personnes revendiquant l’identité abénakise. Bref, l’émission associe à tort des Abénakis et des autochtones auto-proclamés aux Métis qui eux ont l’obligation légale de s’auto-identifier.

Le reportage ouvre sur deux organisations administrées en Beauce par Mme Dominique Côté, la « Nation Sartigan » et la « communauté métisse d’Antaya », dixit le journaliste.

À l’écran et dans un communiqué qui remonte au 17 décembre 2019, un conseiller du Conseil des Abénakis d’Odanak, Jacques T. Watso, dénonce « l’usurpation de l’identité w8abanaki » par les membres de la Nation Sartigan. Soutenant que ce groupe n’a aucune légitimité, il les accuse d’appropriation culturelle des pratiques abénakises.

Mme Coté déclare pour sa part avoir demandé à Ottawa la reconnaissance de la Nation Sartigan comme Première nation abénakise.

Cette organisation n’a donc rien à voir avec les Métis du Québec.

Comment la plainte d’un conseiller abénaki contre un groupe d’Indiens auto-proclamés a-t-elle pu devenir un an plus tard un sujet de reproches infondés aux Métis ? Mystère…

Vérifications faites ensuite au Registre des entreprises en ligne de la seconde organisation qui a déjà été administrée par Mme Côté, la prétendue « communauté métisse d’Antaya », il s’agit est en fait de la « communauté autochtone d’Antaya », une association civile qui rend différents services à ses membres dans le cadre « d’activités traditionnelles autochtones » et de la production de sirop d’étable.

Encore une fois, cette seconde organisation n’a rien à voir avec les Métis du Québec.

Mais ce n’est pas tout.

Dans la seconde demi-heure de l’émission, deux femmes des Premières nations dénoncent les personnes s’identifiant « autochtones » qui prennent leurs postes dans les pénitenciers comme conseillers aux délinquants Indiens.

Encore une fois, bien que la situation est déplorable, ce scandale n’a rien à voir avec les Métis du Québec.

Et ce n’est toujours pas tout…

Cinq personnes sont pointées du doigt pour s’être identifiées « autochtone » sur la foi de lointains ancêtres indiens qui ont vécu aux 17ème siècle, s’être prononcées sur la culture abénakise, avoir fabriqué des mocassins et avoir dirigé une galerie d’art autochtone...

Aucune cependant ne s’identifie Métis au sens de l’article 35 de la Constitution, ni ne tente d’identifier un ancêtre Métis qui appartenait à une communauté métisse historique.

À nouveau, ces personnes n’ont rien à voir avec les Métis du Québec.

En finale, le reportage évoque l’Alliance autochtone du Québec et le Congrès des peuples autochtones du Québec qui représentent des « autochtones ». Un proche du journaliste ignorant s’il a du sang indien s’inscrit à l’AAQ ou à la CPAQ, un généalogiste lui découvre un ancêtre indien qui remonte à 1627 et il est accepté comme membre. Encore mieux : un loustic soumet la bave de son chien à un test d’ADN et un biologiste découvre un ancêtre indien à Pitou !!!

La situation est risible, certes…

But so what, Charlie Brown ?! Quel est le lien, entre ces « autochtones », leurs lointains ancêtres Indiens, Pitou et les Métis reconnus dans la Constitution canadienne ? Il n’y en a pas.

Il est bien connu que l’AAQ et la CPAQ ne représentent pas les Métis selon le test de Powley. Il est également bien connu que ce n’est pas la preuve d’un ancêtre Indien qui est requise des Métis mais celle d’un ancêtre Métis qui appartenait à une communauté métisse historique.

La réponse par courriel du Département des Affaires indiennes du Canada, « on ne sait pas qui sont les Métis au Québec », benoitement relayée dans le reportage, est du grand n’importe quoi. Les reporters d’antan de l’auguste institution nous avaient habitué à plus de mordant.

Si le Fédéral ignore qui sont les Métis au Québec, pourquoi donner cinq millions par an au Congrès des peuples autochtones et à son membre provincial québécois, l’AAQ, qui fabrique des « autochtones » par milliers ? Est-ce pour nuire aux Indiens. Ou pour nuire aux Métis ?

Cela étant dit, Ottawa n’ignore pas qui sont les Métis dans le bassin versant de l’Atlantique, c’est-à-dire en Ontario et au Québec. Il sait fort bien que les Métis dans la partie est du pays sont liés aux familles d’ascendance interethnique franco-indienne à l’œuvre de 1650 à 1850 dans la traite des fourrures au sud-est de la Terre de Rupert.

La Cour suprême du Canada a reconnu en 2003 l’existence à Sault Sainte-Marie, dans le centre sud de l’Ontario, sur la route des fourrures menant dans les Pays d’en Haut, d’une communauté métisse historique formée de voyageurs canadiens catholiques français unis à des « Sauvagesses » et de leurs enfants métis.

La même histoire s’est répétée en Outaouais, au début de cette fameuse route des fourrures, au Lac Sainte-Marie et ses environs, le long des rives des rivières Gatineau, du Lièvre et Outaouais, avant la création de la réserve de Maniwaki. Des voyageurs catholiques de langue française dans la traite des fourrures dans le bassin versant de l’Atlantique se sont unis à des « Sauvagesses ». Leurs enfants métis qui ont grandi dans les deux cultures, celle de leur père euro-canadien et cette autre de leur mère indienne, ont fusionné les pratiques transmises leurs parents et ont créé leur propre culture distinctive.

En bout de ligne, le reportage d’Enquête se termine sur le professeur de l’Université de Carleton Sébastien Malette qui confirme la présence de Métis au Québec. M. Malette est pressenti comme témoin expert aux procès de Royal Séguin et la Communauté et celui de Louis Généreux pour témoigner de la communauté historique en Outaouais et de sa continuité. Il a rédigé Les Bois-Brûlés de l’Outaouais. Une étude ethnoculturelle des Métis de la Gatineau, en collaboration avec l’historien Guillaume Marcotte et de l’anthropologue Michel Bouchard qui enseigne en Colombie-Britannique.

Conclusion

L’auto-proclamation autochtone ou abénakise ne s’applique pas aux Métis.

Le reportage multiplie les amalgames boiteux entre les Indiens, les Métis et les autochtones auto-proclamés, induisant ainsi les gens en erreur.

Les revendicateurs de l’identité métisse ont l’obligation légale de s’identifier Métis puisque les revendications tardives ne seront pas considérées conformes à la condition relative à l'auto-identification :

Premièrement, le demandeur doit s'identifier comme membre de la communauté métisse. Cette auto-identification ne doit pas être récente : en effet, bien qu'il ne soit pas nécessaire que l'auto-identification soit constante ou monolithique, les revendications présentées tardivement, dans le but de tirer avantage d'un droit visé à l'art. 35, ne seront pas considérées conformes à la condition relative à l'auto-identification.[1]

Les Métis du Québec sont distincts des Abénakis et des « autochtones auto-proclamés » de l’AAQ et de la CPAQ qui évoquent de lointains ancêtres indiens ayant vécu au premier temps de la colonie pour se qualifier à des programmes fédéraux qui leur sont réservés.

C’est leur participation passée et présente à une culture commune, à des coutumes et traditions distinctives qui constituent l'identité de leur communauté métisse :

L'élément central du critère de l'acceptation par la communauté est la participation, passée et présente, à une culture commune, à des coutumes et traditions qui constituent l'identité de la communauté métisse et qui la distinguent d'autres groupes.[2]

Le reportage d’Enquête diffusée les 21 et 24 janvier 2021 ne fait pas preuve d’exactitude, d’intégrité, d’équité, d’impartialité et d’équilibre.

Me Pierre Montour, 26 janvier 2021

 

[1] Arrêt Powley, paragraphe 31)

[2] Arrêt Powley, paragraphe 35